Peut-on se passer des concerts « en salle » ?

A l’ère du numérique, nous trouvons de plus en plus de concerts en streaming.
Aujourd’hui le COVID-19 nous interdit de faire des concerts « en salle ».

Qu’apporte la salle de concert au public et au musicien ? Le streaming permet un accès plus facile au concert mais peut-il remplacer le concert « en salle » ? Pourrions-nous vivre sans ces concerts et quelles en seraient les conséquences ?

La salle de concert est une acoustique, une atmosphère, un décor. Auditorium en bois avec ses mille fauteuils de velours rouge, église humide et sombre où la réverbération dure plusieurs secondes ou salon chaleureux agrémenté de quelques amis, chaque lieu pose un cadre unique.

Pendant le concert, en présence du public, l’ambiance évolue et le musicien s’en imprègne pour jouer. Il est essentiel pour l’artiste de sentir la tension et l’attention dans la salle. Il faut aller chercher le spectateur et le garder ! L’art de la rhétorique est présent dans la musique et a été poussé très haut chez certains compositeurs, Haydn, par exemple. C’est un outil privilégié pour interpeller le public dont l’écoute, la respiration, les mouvements, les bruits influent sur la performance du musicien et peuvent en modifier l’interprétation. Un artiste se sentant soutenu, écouté par son public, en confiance, osera prendre plus de risques, sera plus apte à lâcher prise et réalisera des choses qu’il n’avait même pas envisagées. Ce seront alors des moments d’extrêmes émotions, de mise à nu, de virtuosité. Si le musicien sent l’attention se relâcher (peut être parce que lui-même, l’espace d’un instant, n’est plus assez présent), il a la possibilité de réagir, d’aller provoquer l’auditeur. Aller chercher un pianissimo, remplir la salle des vibrations de l’instrument, jouer avec l’écoulement du temps, bousculer les attentes du public pour lui soutirer une exclamation ou un sourire… Les possibilités sont infinies.

L’artiste se nourrit des réactions du public pour creuser toujours plus profondément la musique, chercher à comprendre ce qu’elle veut dire, quel en est le message et comment le partager. En cela il n’y a pas de meilleure école que la scène !

Les échanges entre l’artiste et le public ont lieu pendant le concert sans avoir besoin de mots, mais aussi avant ou après celui-ci autour d’un verre de l’amitié. Deux voisins de concert peuvent partager des émotions et leur ressenti sans se connaître, simplement parce qu’ils viennent de vivre un voyage musical en commun. La salle de concert crée du lien et notre société en a plus que jamais besoin !

Un des combats du musicien classique est de continuer à faire vivre cette musique, et pour cela d’élargir son public, de le renouveler et d’atteindre des publics dits « empêchés ». Par expérience, des publics très divers et parfois inattendus peuvent être touchés. Avec mon quatuor à cordes, nous avons joué dans des prisons, des centres de réfugiés, des centres pour sans-abris, etc… S’ils n’aiment pas forcément tout, cela éveille des choses en eux et parfois nous pouvons même être surpris par ce qu’ils préfèrent. Au départ certains peuvent avoir des préjugés (c’est de la musique pour les vieux, de la musique savante…) et ne pensent pas aimer. A la radio ils zappent toujours, ou bien ce n’est pas leur culture, ils n’ont pas accès au CD ou à internet. Pourtant, à l’instant T, en ensemble dans cette salle, nous vibrons. Notre musique vit.

Comment continuer à faire vivre cette musique et renouveler son public si le contact humain ne fait plus partie de l’équation ?

Internet, Youtube, le streaming, etc… sont les nouvelles plateformes de diffusion. Pour les artistes, elles permettent une présence facile sur la « scène mondiale ». Il est possible de développer plus rapidement sa notoriété, son réseau. Mais qu’en est-il de la reconnaissance réelle du travail de l’artiste, et de la qualité d’écoute de l’auditeur ? Tout le monde n’a pas le matériel adéquat, ni le temps pour écouter dans de bonnes conditions. La qualité et la puissance du son rendu sont rarement au diapason de l’intention du musicien.

Du point de vue de l’artiste, la consommation de la musique sur internet peut s’avérer décourageante. On en vient à se demander à quoi sert de donner son temps et son énergie pour toujours exceller. A quoi sert toute cette exigence si au final la qualité de son travail n’est pas rendue telle quelle, ni écoutée avec attention ? Et si l’on parle de travail, c’est que la musique est un art, une passion, mais c’est également un métier ! Comment survivre sans le concert « en salle » lorsque l’accès au concert live peut être gratuit ou quasi, moyennant un abonnement à une chaine ou à une plateforme de streaming dont le musicien ne touche généralement pas un centime ?

La fin du concert « en salle » serait-elle alors synonyme de la fin du métier de musicien ? Pour moi rien ne pourra jamais remplacer la rencontre entre l’artiste et son public !

 

Emeline Concé

Le 28/04/20

 

Crédit photo intro: Dimitri Scapolan

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